OTTAWA — C’est une petite révolution diplomatique qui s’opère discrètement, mais dont les échos se feront sentir de Bruxelles jusqu'à Washington. Le Canada s’apprête à devenir officiellement le premier pays non européen à intégrer l'initiative SAFE (Security and Adaptation for Future Emergencies), scellant ainsi un rapprochement inédit avec le Vieux Continent.
Alors que l'OTAN demeure la pierre angulaire de la défense militaire traditionnelle, l'initiative SAFE, lancée par l'Union européenne, vise un autre type de guerre : celle contre les menaces hybrides, les cyberattaques systémiques et, surtout, les catastrophes climatiques majeures.
Briser le plafond de verre européenJusqu'à présent, les initiatives de défense et de sécurité civile de l'UE étaient jalousement gardées, réservées aux États membres ou, à la limite, aux voisins immédiats comme la Norvège ou le Royaume-Uni. L'ouverture de la porte au Canada marque un changement de paradigme à Bruxelles.
« L'Europe réalise qu'elle ne peut plus faire cavalier seul sur les enjeux de résilience », analyse Marie-Hélène Labbé, experte en relations transatlantiques. « Le Canada, avec son expertise en gestion de crises nordiques et ses ressources énergétiques, est devenu un partenaire incontournable, plus fiable et prévisible que les États-Unis en période d'incertitude électorale. »
Pourquoi le Canada ?
Pour Ottawa, l'adhésion à SAFE est une victoire stratégique majeure qui répond à trois impératifs :
- La sécurité civile et climatique : Après les feux de forêt dévastateurs de 2023 et 2024, le Canada a besoin d'alliés. SAFE permet un partage instantané de ressources (bombardiers d'eau, équipes tactiques) et de données satellitaires via le système Copernicus, sans passer par la lourde bureaucratie de l'ONU.
- La cybersécurité : L'initiative comprend un volet de renseignement sur les cybermenaces visant les infrastructures critiques (énergie, hôpitaux). En rejoignant ce club, le Canada diversifie ses sources de renseignement au-delà des « Five Eyes » (l'alliance avec les USA, le R-U, l'Australie et la N-Z), réduisant sa dépendance envers Washington.
- L'approvisionnement critique : SAFE inclut des protocoles pour sécuriser les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques et en énergie. Le Canada se positionne ainsi comme le « coffre-fort » de ressources de l'Europe, en échange de technologies et d'investissements.
Les risques de la dispersion
Cependant, cette adhésion ne fait pas l'unanimité. Certains observateurs à Ottawa craignent une dilution des efforts canadiens. Le Canada peine déjà à respecter ses engagements financiers envers l'OTAN (le fameux 2 % du PIB). S'engager dans une nouvelle structure européenne pourrait disperser des ressources déjà limitées.
De plus, la réaction de Washington reste à surveiller. Les États-Unis voient parfois d'un mauvais œil l'autonomie stratégique européenne (l'Europe de la défense). Voir leur voisin du Nord s'intégrer à ces structures pourrait être perçu comme un éloignement de la doctrine de défense continentale nord-américaine (NORAD).
Conclusion
En rejoignant l'initiative SAFE, le Canada fait le pari que sa sécurité future ne se joue plus seulement sur l'axe Nord-Sud avec les États-Unis, mais de plus en plus sur l'axe Est-Ouest avec l'Europe. C'est un pari de maturité pour la diplomatie canadienne, qui tente de s'imposer non plus comme un simple cadet de l'Amérique, mais comme une puissance pont entre les deux rives de l'Atlantique.
Soyez prêt à l'imprévisible


