L'exception fiscale québécoise : un contrat social à la croisée des chemins

Rédigé le 27/10/2025
Mario Brisebois


Chaque année, au moment de produire leur double déclaration de revenus — une unique bureaucratie au pays —, les Québécois ressentent ce mélange familier de fierté et de vertige. La fierté d'appartenir à une société distincte, et le vertige de constater, année après année, que le Québec demeure l'endroit en Amérique du Nord où la main de l'État est la plus lourde.

Les chiffres sont têtus et alimentent régulièrement les palmarès de l'Institut Fraser ou les colonnes financières : le Québec est le champion canadien de la taxation. Avec un taux d'imposition marginal combiné dépassant les 53 % pour les hauts salariés et des taxes à la consommation frôlant les 15 %, la province se situe bien au-delà de la moyenne canadienne, et à des années-lumière de l'Alberta.

Pourtant, limiter l'analyse à la simple ligne « impôt à payer » relève de la myopie économique. Pour comprendre la réalité fiscale du Québec, il faut regarder ce qui sort de nos poches, mais aussi ce qui n'a pas besoin d'en sortir.

Le coût de la civilisation ou un frein à la richesse ?

Les études de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke (CFFP) rappellent régulièrement une nuance cruciale : le « salaire social ». Si l'Ontarien garde une plus grande part de sa paie brute, le Québécois, lui, bénéficie de services fortement subventionnés qui, ailleurs, sont facturés à l'utilisateur.

C'est ici que le « modèle québécois » prend tout son sens. L'électricité la moins chère du continent, des garderies à tarif réduit (malgré les listes d'attente), des frais de scolarité universitaires parmi les plus bas et une assurance médicaments publique constituent un retour sur investissement. Pour une famille de la classe moyenne avec deux jeunes enfants, le « revenu disponible » réel au Québec est souvent comparable, voire supérieur, à celui de ses voisins, une fois payées la garde et l'énergie.

En ce sens, la fiscalité québécoise n'est pas un vol, c'est un choix de société. C'est le choix de mutualiser les risques et les coûts, de privilégier l'équité sur la disparité.

L'angle mort : la productivité et les célibataires

Toutefois, l'édifice montre des fissures inquiétantes. Si le modèle favorise les familles, il est particulièrement punitif pour les célibataires et les hauts salariés sans enfants, qui subissent la lourdeur de l'impôt sans bénéficier de la plupart des subventions sociales. Cela pose un risque réel pour l'attractivité du Québec dans la « guerre des talents ».

De plus, comme le soulignent souvent les analystes économiques de La Presse ou du Devoir, le problème du Québec n'est pas tant qu'il taxe trop, mais qu'il produit moins. L'écart de richesse (PIB par habitant) avec l'Ontario oblige le gouvernement québécois à imposer un effort fiscal plus grand pour offrir des services équivalents. En somme, nous devons courir plus vite fiscale pour rester à la même place en termes de services.

L'obligation de résultat

Le véritable scandale n'est pas le taux d'imposition en soi. Les Québécois, dans leur majorité, semblent accepter ce contrat social d'inspiration scandinave. Le point de rupture réside dans la qualité des services reçus.

Lorsque l'on paie des impôts de « Cadillac » pour obtenir des services de santé engorgés, des routes en décrépitude et des écoles en manque de ressources, le consentement à l'impôt s'effrite. Le contribuable québécois ne demande pas nécessairement de payer moins, mais il exige d'en avoir pour son argent.

Le Québec ne peut pas se permettre d'être à la fois l'État le plus taxé et l'un des moins efficaces dans la prestation de services. Tant que la lourdeur fiscale servira à financer un filet social robuste, le modèle tiendra. Mais si elle ne sert qu'à financer la lourdeur administrative, c'est tout le contrat social qui devra être révisé.

En comparaison avec le reste du Canada, le Québec a fait le pari de la solidarité. C'est un pari noble, mais qui vient avec une facture salée et, surtout, une obligation de performance que l'État peine de plus en plus à honorer.


QuébecSurvie.com

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